L'Oeil d'un Doc
Comme beaucoup d’autres, c’est un dur métier.
Dur à apprendre et dur à exercer.
Tout particulièrement au chevet même des patients, des gens souffrants, des gens blessés,
fatigués, affaiblis,
Des gens agés, des miséreux, des fortunés,
Mais tous malchanceux, lorsqu’ils ouvrent leur porte au docteur, la porte de chez eux, lorsqu’ils se dénudent,
frappés de maladies, bousculés par les maux, bousculés par la vie,
rattrapé par le temps.
Réparer les vivants, refuser les mourants, non plutôt les souffrants, oui ; refuser la souffrance,
Panser les blessures, colmater les plaies,
Recoller les cassures, recoudre les ouvertures,
Reconstruire les sourires,
ôter la douleur, pour permettre, de nouveau, peut-être, la joie et le partage, avec ceux qu'on aime.
Sonder les ventres, traquer les douleurs, écouter les thorax, les poumons infectés, qui sifflent, qui crépitent,
car lentement se noient,
Entendre les cœurs, de celui-ci ou de celle-là, aux rythmes de chacun.
Se pencher sur un vieillard, qui vit ses dernières heures, et calmer son angoisse, apaiser le vertige,
la peur du vide, la peur du noir, l’angoisse des ténèbres.
Et voir l'apaisement advenir.
Ou s’asseoir à côté d’un enfant douloureux, apeuré, et finir par le faire sourire.
Redonner la confiance, soulager et détendre, soulager la douleur, soulager la peine.
Rendre enfin le sommeil et la paix.
Soulager, soulager, soulager.
Soulager l’injustice en fait !
L’injustice de l’existence, de la nature, si belle, si vaste, et si surprenante oui, mais si souvent sans pitié et profondément injuste.
Et pour supporter cette vie de guérisseur, de soignants, de livreurs de soins à domicile, moi j’ai ce besoin de me nourrir de ce que j’y vois.
De ce qu’on découvre au hasard d’un escalier, d’une chambre à coucher, d’un portrait au mur,
d’une tapisserie vétuste, d’un chien sous la table,
ou d'un paillasson trop sympathique pour s’y essuyer les pieds.
Diversité si appétissante, pour le gourmand que je ne puis m’empêcher d'être, ce friand d'images que je suis aussi, et peut-être avant tout.
Pourquoi ce désir si fort de montrer, d'offrir à voir ce que j’ai vu, de témoigner, de rendre au monde ce que je vois, ce que je vis ?
Probablement, car c’est mon soin à moi, le soin dont j’ai besoin pour continuer de vivre, continuer à avancer, monter les étages, franchir les portes, écouter les plaintes, se concentrer sur les symptômes, à l’affût des diagnostics, les causes du mal, puis trouver des solutions, proposer un traitement,
Au plus près, au plus juste, de la singulière réalité de chacun.
Voici donc un recueil d'images, glanées au cours de ces années de travail, des images simples et spontanées, faites avec mon téléphone, images parfois un peu volées, pour les besoins de la captation de ces visions fugitives, fragiles, furtives, impermanentes, évanescentes, mais toujours concoctées dans le plus profond respect, des êtres qui les constituent.
Ces gens que j’ai un jour, une nuit, croisés pour leur venir en aide, du mieux que j’ai pu, avec ce que je sais, avec ce que j’ai appris, avec ce que je suis.
Un médecin-photographe.